Le point sur l’aide juridique en Ontario
Lauren Warner | Agent de recherche
Service de recherche
Le présent rapport fait le survol du système d’aide juridique en Ontario. Il revient d’abord sur l’histoire de l’aide juridique dans la province et les événements qui ont mené à la création d’Aide juridique Ontario (AJO), puis il présente en condensé le cadre légal régissant cette dernière ainsi que les services d’aide juridique offerts dans la province. Il boucle le tout par une brève discussion de certains problèmes qui touchent actuellement le système d’aide juridique.
L’aide juridique est un service offert aux personnes qui n’ont pas les moyens d’en obtenir; elle est considérée comme une voie d’accès cruciale à la justice. Grosso modo, le concept d’accès à la justice réfère à la capacité qu’a une personne de faire une réclamation en droit ou de se défendre en justice devant l’organe approprié (cour, tribunal)[1]. L’aide juridique prend diverses formes comme la fourniture d’information ou de conseils juridiques, l’aide à la rédaction de documents ou la représentation en cour – ce dernier volet étant particulièrement important dans notre système de justice adversatif, lequel oppose sur un pied d’égalité les parties, qui doivent présenter des preuves et arguments devant un décideur impartial[2].
Le système d’aide juridique ontarien s’est développé au fil des ans de manière à fournir une vaste palette de services juridiques. Il a cependant connu, et connaît toujours, divers problèmes relatifs à l’admissibilité aux services, au financement et à l’administration. Le présent rapport fait le survol du système d’aide juridique en Ontario. Il revient d’abord sur les événements qui ont mené à la création d’Aide juridique Ontario (AJO), puis présente en condensé les services d’aide juridique offerts dans la province, et boucle le tout par une brève discussion de certains problèmes qui touchent actuellement le système d’aide juridique en Ontario.
Balbutiements : années 1950 et 1960
Avant 1951, l’Ontario n’a pas de régime d’aide juridique établi par la loi. Les services de genre sont plutôt prodigués de manière informelle par les avocates et avocats, par principe de charité[3]. En 1951, l’Assemblée législative adopte la Law Society Amendment Act (Loi modifiant le Barreau)[4], qui autorise le Barreau du Haut-Canada[5] – l’organisation de l’époque qui agrée, réglemente et discipline les avocates et avocats – à établir un régime d’aide juridique. Cette aide relève néanmoins largement de l’initiative bénévole. En effet, la Loi ne prévoit le remboursement aux avocates et avocats que de certains débours et autres frais administratifs; le reste de leurs services n’est toujours pas rémunéré[6].
À l’aube des années 1960, l’aide juridique bénévole s’avère insuffisante pour répondre à la demande[7]. En 1963, le gouvernement de l’Ontario nomme un comité chargé d’examiner le régime en place et de faire des recommandations en vue d’une refonte[8]. Le comité recommande qu’un nouveau régime soit établi selon le modèle judicare anglais, dans le cadre duquel l’aide juridique est fournie par des avocates et avocats exerçant au privé selon une formule de rémunération à l’acte [9].
Le gouvernement provincial accepte la majorité des recommandations du comité et adopte la Legal Aid Act, 1966 (Loi de 1966 sur les services d’aide juridique)[10]. Cette loi établit le Régime d’aide juridique de l’Ontario (RAJO), qui sera financé par le gouvernement provincial et administré par le Barreau par l’entremise d’un comité consultatif et de directions locales[11].
Le fonctionnement du RAJO suit largement le modèle judicare recommandé par le comité. Des coupons échangeables contre des services d’aide juridique – appelés des certificats – sont accordés aux clientes et clients financièrement admissibles pour qu’elles et ils puissent retenir les services d’avocates et avocats en pratique privée[12]. La Loi permet aussi l’établissement d’un programme d’avocates et avocats de service[13], qui consiste à affecter aux palais de justice des avocates et avocats ayant pour tâche d’informer de leurs droits les personnes qui ne sont pas représentées et de représenter celles-ci en cour dans des affaires pressantes (ex. : concernant les cautionnements)[14].
Développement du système de cliniques : années 1960 et 1970
Vers la fin des années 1960 et 1970, des juristes et activistes communautaires arrivent à la conclusion que la méthode judicare ne répond pas pleinement aux besoins des Ontariennes et Ontariens à faible revenu[15]. Inspirés par le nouveau mouvement d’aide juridique né aux États-Unis qui milite pour les quartiers défavorisés et l’engagement civique, ces juristes et activistes commencent à établir des cliniques d’aide juridique[16].
Ces cliniques se concentrent sur la prestation de services dans des domaines de droit rattachés à des besoins de base, comme l’aide sociale, l’indemnisation des accidents du travail et le logement. Elles prennent aussi part à des initiatives populaires de développement communautaire et d’éducation juridique du public[17]. Les premières de ces cliniques à être établies ne font pas partie du RAJO; elles sont régies par un conseil d’administration bénévole, et leur financement provient en partie de dons et en partie de subventions gouvernementales. Elles jouissent donc d’un degré d’indépendance considérable, mais leur financement n’est pas stable[18].
En 1979, un règlement dispose que le RAJO finance les cliniques. Il donne aussi lieu à la mise sur pied par le Barreau du Comité de financement des cliniques, un organe distinct de son comité original sur l’aide juridique. Le Comité de financement se voit allouer un budget distinct établi par le procureur général de l’Ontario[19]. Cette décision est majeure puisque les partisanes et partisans des cliniques craignaient pour l’indépendance et les ressources de celles-ci si elles venaient à tomber sous l’égide du mandat du Comité d’aide juridique[20].
La crise du financement de 1994 et le rapport McCamus
Au début des années 1990, le coût du programme de certificats du RAJO explose en raison de la récession (qui fait s’agrandir le bassin de personnes financièrement admissibles à l’aide juridique), de changements aux lois et aux politiques gouvernementales (qui entraînent davantage d’accusations au criminel) et d’une augmentation des causes relevant du droit de la famille et de la protection de l’enfance[21].
En 1994, la province signe un protocole d’entente (PE) avec le RAJO exigeant que ce dernier gère le programme de certificats dans les limites d’un budget préétabli pendant quatre ans[22]. Auparavant, ce financement était fourni sur une base « illimitée » : la Loi prévoyait que quiconque répondait aux critères d’admissibilité à l’aide juridique y avait droit, et le gouvernement fournissait les fonds nécessaires pour répondre à la demande[23]. Mais en parallèle, le gouvernement fédéral a commencé à verser un financement fixe, sans égard aux besoins réels[24].
Afin de s’adapter au plafonnement des ressources financières, le RAJO impose une série de réductions de services : il restreint l’offre de certificats dans le domaine du droit civil, introduit des plafonds pour la facturation des certificats et resserre les conditions d’admissibilité à l’aide financière[25]. Si ces mesures stabilisent la situation financière du RAJO, elles ont des conséquences pour bien des parties au système judiciaire. Selon le rapport McCamus de 1997 (que l’on verra ci-après), le problème d’insatisfaction des besoins juridiques en a été exacerbé, ce qui a miné l’efficacité du système tout entier[26].
Le rapport McCamus : 1997
En décembre 1996, dans le sillage de la crise du financement, le gouvernement de l’Ontario établit un comité d’examen indépendant chargé d’examiner le Régime d’aide juridique et de formuler des recommandations sur son orientation future. Sous la présidence de John McCamus, professeur de droit, le comité reçoit des observations, mène des consultations et fait produire des études sur divers sujets se rapportant à son mandat[27].
Vers cette époque, un système de prestation « mixte » est en place pour l’aide juridique, différents modes de prestation étant employés à l’échelle de la province. Les avocates et avocats du secteur privé fournissent leurs services de représentation dans le cadre du programme de certificats. Bon nombre de palais de justice ont adopté le programme d’avocates et avocats de service, et les cliniques juridiques communautaires offrent des services d’aide juridique aux personnes démunies. Des cliniques se spécialisant dans des domaines précis du droit (comme les relations propriétaires-locataires) font également partie du paysage[28].
Le rapport du comité d’examen indépendant est publié en août 1997. Surnommé le « rapport McCamus », il présente la conclusion que le modèle de prestation mixte devrait se poursuivre, et argue que le système d’aide juridique doit être suffisamment flexible pour s’adapter à une diversité
de besoins, de problèmes juridiques et de contextes géographiques. Le rapport McCamus appelle à la diversification des services du régime d’aide juridique « pour essayer de combler les vides entre la représentation entière et la représentation nulle » [29]. Il recommande aussi le transfert de la gestion de l’aide juridique du Barreau à un nouvel organisme indépendant[30].
Aide juridique Ontario (AJO) : 1998
En réponse au rapport McCamus, le gouvernement de l’Ontario promulgue la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique. Celle-ci établit Aide juridique Ontario (AJO), une société autonome – mais financée par les deniers publics et devant rendre compte au public – qui a pour mandat d’établir et d’administrer un système d’aide juridique [31]. Le but la Loi est de « faciliter l’accès à la justice, partout en Ontario, pour les particuliers à faible revenu »[32].
Sous le régime de cette loi, AJO doit fournir des services d’aide juridique dans les champs du droit criminel, du droit de la famille et du droit de la santé mentale ainsi que dans les domaines de pratique des cliniques. La société doit aussi reconnaître que le secteur privé (c.-à-d. le programme de certificats) a préséance dans la prestation de services d’aide juridique dans les domaines du droit criminel et du droit de la famille, et les cliniques, dans la prestation des services dans leurs domaines de pratique[33]. Autrement, elle a carte blanche sur la manière de mener à bien son mandat. La Loi autorise AJO à recourir à toute méthode qu’elle juge appropriée, dont les suivantes :
- délivrance de certificats;
- financement des cliniques;
- établissement de bureaux de services d’aide juridique;
- financement de sociétés étudiantes d’aide juridique;
- financement de sociétés autochtones de services juridiques;
- affectation d’avocats de service, prestation de conseils sommaires et éducation juridique du grand public[34].
Entrée en vigueur de la nouvelle législation encadrant l’aide juridique (2021)
Entrée en vigueur en octobre 2021 pour remplacer la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique, la Loi de 2020 sur les services d’aide juridique maintient Aide juridique Ontario (AJO) en tant que société autonome ayant mandat d’établir et d’administrer le système d’aide juridique de l’Ontario, et l’habilite toujours à fournir des services d’aide juridique par le truchement d’une gamme de programmes . Cependant, la nouvelle loi habilite aussi AJO à édicter des règles sur la prestation de l’aide juridique, qui régiront par exemple l’admissibilité aux services ou les fournisseurs de services . Auparavant, c’était l’ancienne loi (ou ses règlements d’application) qui établissait bon nombre de ces règles, un état des choses qui nécessitait des modifications législatives ou réglementaires pour qu’AJO puisse changer ses pratiques opérationnelles . Selon la société, le nouveau système lui permet « de moderniser et de clarifier sa structure opérationnelle — augmentant l’efficacité et améliorant les services » .
Comme on le verra plus bas, l’offre actuelle des services d’aide juridique en Ontario se résume à trois grandes catégories : le programme de certificats, le programme d’avocates et avocats de service, et les services dans les domaines de pratique des cliniques.
Le programme de certificats
Un certificat d’aide juridique constitue la promesse par Aide juridique Ontario de payer les honoraires d’une avocate ou d’un avocat selon un tarif horaire établi, jusqu’à concurrence d’un certain nombre d’heures[35]. Pour qu’une personne soit admissible à un certificat, elle doit répondre à des critères financiers, et son cas doit relever d’un domaine couvert par AJO.
La société délivre ses certificats d’aide juridique dans quatre grandes branches du droit : droit criminel; droit de la famille (ce qui comprend la protection de l’enfance); droit de la santé mentale; droit de l’immigration et des réfugiés. Toutefois, ce ne sont pas tous les cas relevant de ces domaines qui sont couverts : le problème juridique doit en règle générale être suffisamment sérieux ou complexe[36]. Par exemple, pour être admissible à un certificat dans une cause criminelle, la demandeuse ou le demandeur doit habituellement être passible d’incarcération[37].
L’évaluation de l’admissibilité financière aux certificats tient compte de la taille, du revenu brut et de la valeur totale des liquidités de l’unité familiale[38]. Ainsi, seules les familles qui touchent un revenu brut en deçà d’un certain seuil (qui varie selon la taille de la famille) sont admissibles aux services juridiques gratuits; celles qui sont légèrement mieux nanties peuvent aussi être admises si elles acceptent d’assumer une partie des coûts. En outre, le seuil est légèrement plus élevé pour les victimes de violence familiale[39]. Qui plus est, en raison de la crise de COVID‑19, AJO a temporairement suspendu l’application des critères d’admissibilité pour certaines personnes (ex. : certaines personnes détenues à la suite d’accusations; personnes détenues en lien avec leur statut d’immigration)[40]. Abstraction faite de ces cas, en date d’octobre 2021, les seuils de revenu du programme de certificats étaient les suivants :
Figure 1 :
Seuil de revenu brut limite pour l’admissibilité aux certificats
Taille de la famille |
Certificat ordinaire |
Affaires de violence familiale |
1 |
$18,795 |
$22,270 |
2 |
$32,131 |
$32,131 |
3 |
$39,352 |
$39,352 |
4 |
$45,289 |
$45,440 |
5+ |
$50,803 |
$50,803 |
Chambreuse ou chambreur célibataire |
$12,330 |
s.o. |
Source : AJO, L’aide juridique paiera-t-elle mon avocate ou avocat?
Le programme de certificats est le programme d’AJO le plus coûteux. En 2019-2020, AJO a dépensé environ 223,6 millions de dollars pour ce programme (48 % de ses dépenses). La majorité des certificats ont été délivrés pour des services en droit pénal (60 097); venaient ensuite les dossiers de droit de la famille (24 055) et d’immigration et de statut de réfugié (15 654), puis les autres affaires, comme les audiences au civil et les dossiers de droit carcéral (5 654)[41]. Le coût moyen pour boucler un dossier payé par certificat (toutes branches de droit confondues) en 2019-2020 était de 2 089 $.
Les avocates et avocats de service
Les avocates et avocats de service sont des juristes qui fournissent une assistance immédiate aux personnes qui se présentent au palais de justice sans être représentées[42]. Leurs services sont plus élémentaires que ceux des avocates et avocats acceptant les certificats : conseils juridiques sommaires, négociation, aide à la préparation de documents et, dans certains cas, représentation en cour[43]. En Ontario, ils couvrent le droit criminel, le droit de la famille, le droit de la santé mentale et le domaine des relations propriétaires-locataires[44].
En 2019-2020, le programme d’avocates et avocats de service assuré par AJO a fourni une assistance à plus de 618 000 reprises aux palais de justice de l’Ontario, pour un coût d’environ 56 millions de dollars (12 % des dépenses[45]), pour la majorité des cas (516 759) dans des affaires criminelles. Le reste des cas (101 927) relevaient du droit civil, pour la plupart au tribunal de la famille. Le personnel de service se constitue à la fois d’avocates-conseils et avocats-conseils salariés d’AJO et de membres du secteur privé rémunérés sur une base journalière[46].
Pour être admissible aux services du programme, il faut répondre à des critères financiers semblables à ceux du programme de certificats, mais légèrement moins restrictifs quant au revenu et à l’actif[47]. Cela étant, le rapport de 2018 de la vérificatrice générale révèle que jusqu’à tout récemment, on n’évaluait réellement l’admissibilité financière d’une personne que si l’avocate ou avocat de service soupçonnait que celle-ci n’était pas admissible[48]. En réponse au rapport de la vérificatrice, AJO a assuré que les avocates et avocats de service appliqueraient désormais les critères avec plus d’assiduité[49].
Les cliniques juridiques
AJO finance et chapeaute 72 cliniques juridiques à travers la province et aussi 7 sociétés étudiantes d’aide juridique (rattachées aux facultés de droit de l’Ontario). La plupart sont des cliniques communautaires qui aident les Ontariennes et Ontariens à faible revenu dans leurs affaires juridiques lorsqu’il est question de besoins de base, comme l’aide sociale ou le logement. Du reste, 13 autres sont des « cliniques spécialisées » qui soit représentent des groupes particuliers (ex. : personnes âgées), soit couvrent des domaines particuliers du droit (ex. : relations propriétaires-locataires)[50].
Les cliniques juridiques sont des organismes sans but lucratif indépendants dotés de leur propre conseil d’administration. Néanmoins, c’est d’AJO qu’elles reçoivent la majorité de leur financement (environ 89 millions de dollars en 2019-2020), en contrepartie de quoi elles doivent respecter certaines conditions et normes établies dans les Règles des services d’aide juridique d’AJO [51].
Les cliniques doivent appliquer pour les services qu’elles offrent les critères d’admissibilité financière qu’AJO a établis[52]. Les seuils d’admissibilité financière sont semblables à ceux prévus pour les programmes de certificats et d’avocates et avocats de service. Cela dit, les cliniques peuvent aussi fournir leurs services aux personnes dont la principale source de revenus est l’aide sociale ou une autre forme d’allocations (ex. : prestations de la Sécurité de la vieillesse) sans avoir à appliquer de critères concernant le revenu et l’actif. Enfin, elles ont une certaine marge d’appréciation quant à l’acceptation de clientes et clients qui ne seraient pas nécessairement admissibles sur le pur plan financier[53].
En 2017-2018, les cliniques juridiques communautaires ont pris en charge plus de 170 000 dossiers[54]. Leurs services vont de l’offre de conseils sommaires à la représentation complète au palais de justice. En 2016-2017, 44 % des cas traités concernaient des demandes au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) ou des appels contre celui-ci[55], les autres types de cas les plus courants étant ensuite les questions de logement et de maintien du revenu[56].
La principale source de revenus pour AJO est le financement du gouvernement provincial[57]. Selon la loi, l’organisation doit soumettre son budget annuel à la procureure générale ou au procureur général de l’Ontario, et le financement nécessaire à l’administration de la Loi est prélevé sur les fonds affectés par l’Assemblée[58].
AJO reçoit aussi du financement de la Fondation du droit de l’Ontario. Aux termes de la Loi sur le Barreau, la Fondation doit lui verser 75 % de son revenu annuel qui découle des comptes en fiducie des avocates et avocats et des parajuristes[59]. Le gouvernement fédéral fournit aussi une contribution indirecte par l’intermédiaire d’une entente de partage des coûts avec la province visant à financer les activités en droit criminel et en droit des réfugiés et de l’immigration[60]. Enfin, une faible proportion du financement provient directement de la clientèle bénéficiant du programme de certificats dans le cadre d’ententes de contribution[61].
Figure 2 :
Sources de revenus d’AJO en 2019-2020
Source : AJO, Rapport annuel 2019-2020, p. 39; le diagramme a été réalisé par le Service de recherche de l’Assemblée législative de l’Ontario.
Loi de 2020 sur les services d’aide juridique
En juillet 2020, l’Assemblée législative a adopté la Loi de 2020 sur les services d’aide juridique[62], laquelle est entrée en vigueur en octobre 2021 à l’issue des consultations avec les parties prenantes sur la mise en application du nouveau cadre. Comme il a été dit plus tôt, l’une des principales caractéristiques de ce cadre est qu’il permet à AJO d’établir des règles sur diverses questions qui étaient auparavant régies par la loi elle-même (ou ses règlements d’application). Ce sont désormais les nouvelles Règles des services d’aide juridique qui encadrent l’administration de l’aide juridique dans la province, et celles-ci couvrent toute une gamme de sujets comme l’admissibilité, la gestion des certificats et le fonctionnement des cliniques.
D’après AJO, cette loi devrait lui permettre de réduire ses formalités administratives et lui donner plus de flexibilité dans la mise au point et l’adaptation de ses services[63]. Entre autres, AJO pourra recourir non seulement à des avocates et avocats, mais aussi à d’autres fournisseurs de services, la Loi disant à ce propos que la société doit, dans la mesure du possible, assurer une combinaison convenable de ces fournisseurs[64]. AJO sera aussi explicitement habilitée à offrir des services juridiques dégroupés (à savoir le fait pour une avocate ou un avocat de ne fournir à la cliente ou au client que les services indiqués plutôt que de prendre en charge son dossier au complet)[65].
Cependant, la nouvelle Loi n’est pas sans semer la controverse. Contrairement à la législation de 1998, qui impose à AJO de fournir des services d’aide juridique dans les champs du droit criminel, du droit de la famille et du droit de la santé mentale ainsi que dans les domaines de pratique des cliniques, elle dit simplement que « sous réserve des règlements », la société peut fournir des services dans divers domaines du droit. Plusieurs voient ce libellé comme une porte ouverte à de potentielles suppressions de services, effectuées à la discrétion d’AJO ou par voie de règlements pris par le Conseil des ministres ou par la procureure générale ou le procureur général de l’Ontario[66].
Malgré cette reformulation, le procureur général de l’Ontario a affirmé qu’AJO continuerait d’offrir ses services d’aide juridique dans tous les domaines qu’elle couvre actuellement (droit criminel, droit de la famille, aide juridique aux personnes démunies, etc.)[67], et la société a elle aussi insisté sur le fait qu’elle offrirait toujours ces mêmes services aux Ontariennes et Ontariens à faible revenu sous le nouveau régime[68].
Admissibilité aux services
Entre 1996 et 2014, les seuils d’admissibilité financière aux certificats d’aide juridique en Ontario n’ont pas bougé. En 2011, le revenu maximal restait plafonné à 10 800 $ pour une personne célibataire – l’un des seuils les plus bas au Canada[69]. En 2014, AJO a commencé à recevoir de la province des fonds annuels additionnels destinés à relever le plafond pour tous les types de services. Les seuils ont été haussés de 6 % par année depuis lors. En date d’avril 2020, les célibataires sans personnes dépendantes étaient admissibles à un certificat d’aide juridique si leur revenu brut était de 18 795 $ ou moins. Pour une famille de quatre, ce seuil était de 45 289 $[70]. Plaçons ces montants en contexte : en 2019, Statistique Canada situait son seuil de faible revenu à 21 899 $ pour une personne seule vivant dans un grand centre urbain, et à 40 406 $ pour une famille de quatre[71].
Divers commentaires ont été émis quant à la sévérité des critères d’admissibilité financière d’AJO, du fait qu’un grand nombre d’Ontariennes et Ontariens touchent un revenu trop élevé pour leur donner droit à l’aide juridique, mais trop faible pour leur permettre d’embaucher eux-mêmes une avocate ou un avocat[72]. Résultat : une proportion croissante de la population tente de naviguer dans le système judiciaire sans représentation, particulièrement dans les tribunaux de la famille[73]. Beaucoup de parties en litige rapportent qu’elles se représentent elles-mêmes parce qu’elles n’ont pas les moyens de se payer une avocate ou un avocat, ne sont pas admissibles à l’aide juridique, ou les deux[74]. Or, l’autoreprésentation engendre des répercussions qui se font sentir à l’échelle du système judiciaire; notamment, elle fait enfler les coûts et les délais dans les palais de justice[75].
Financement et problèmes financiers
AJO a cumulé d’importants déficits ces dernières années : 14 millions de dollars en 2015-2016 et 26 millions en 2016-2017[76]. Selon la vérificatrice générale de l’Ontario, ces déficits s’expliquent essentiellement par l’accroissement de la demande de services aux réfugiées et réfugiés et par la décision d’AJO d’élargir les critères d’admissibilité aux certificats pour pouvoir conserver son financement provincial inutilisé[77]. Plus de gens se sont avérés admissibles aux certificats que prévu, ce qui a contribué au manque à gagner. En décembre 2016, AJO a annoncé qu’elle ferait machine arrière sur l’élargissement de ses critères d’admissibilité afin de revenir à l’équilibre budgétaire[78], des changements qui ont permis à AJO de présenter un budget équilibré en 2017‑2018[79].
Le budget provincial 2019 a toutefois assombri le portrait financier pour l’organisation, réduisant le financement provincial accordé à cette dernière d’environ 30 %. D’autres réductions ont été considérées avant d’être abandonnées, mais la restriction budgétaire de 30 % a été appliquée depuis lors[80]. En avril 2019, AJO a annoncé des mesures internes de compression des coûts, dont un gel des embauches, un gel des salaires de la direction et l’élimination de certains postes[81], affirmant que son but était de maintenir les services directs; cela dit, certains changements ont tout de même été apportés aux services[82]. Entre autres choses, AJO a annoncé qu’elle modifierait le programme de certificats en ce qui a trait au cautionnement et à diverses questions de droit de la famille, notamment en attribuant aux avocates et avocats de service une partie du travail autrefois traité par leurs collègues acceptant les certificats[83]. AJO a aussi réduit l’enveloppe de financement du programme des cliniques communautaires de 9,6 millions de dollars en 2019-2020[84].
Comme le rapportent les médias, les ralentissements économiques causés par la COVID-19 compliquent encore plus les choses pour AJO. D’un côté, le nombre de demandeuses et demandeurs d’aide juridique relativement à des problèmes de perte d’emploi, d’expulsion ou autre a grimpé, et de l’autre, l’organisation s’attend à voir chuter le financement qu’elle recevra de la Fondation du droit (les intérêts qu’elle accumule sur les comptes en fiducie des avocates et avocats) en raison des taux d’intérêt faméliques. Elle a vécu une situation semblable dans la foulée de la crise financière de 2008 : le déclin de ses revenus en provenance de la Fondation du droit avait contribué à la plonger dans le déficit de 2008‑2009 à 2010‑2011[85].
Le système d’aide juridique de l’Ontario a connu, et connaît toujours, divers problèmes relatifs à l’admissibilité aux services, au financement et à l’administration. Malgré les récentes revues à la hausse du seuil d’admissibilité aux services d’aide juridique, le revenu maximal admis reste relativement bas. Le financement provincial a aussi été réduit ces dernières années, et les ralentissements économiques causés par la COVID-19 ne viennent rien arranger. Reste néanmoins que, comme le dépeint le rapport McCamus, le système en place assure la prestation d’une vaste palette de services à certains des segments les plus vulnérables de la population. En ce sens, l’aide juridique remplit un rôle toujours aussi vital dans le système judiciaire ontarien.
Notes
[1] Michael Trebilcock, Anthony Duggan et Lorne Sossin, « Introduction », Middle Income Access to Justice, édité par Michael Trebilcock, Anthony Duggan et Lorne Sossin, University of Toronto Press, 2012.
[2] Le système adversatif se distingue des systèmes inquisitoires, plus courants en Europe, où le juge participe plus activement à l’enquête et à l’interrogatoire des témoins.
[3] Michael Cormier, « Legal Aid in Ontario: The Function of Charity », Journal of Law and Social Policy, vol. 6, 1990, pp. 103-104.
[4] Law Society Amendment Act, 1951, L.O. 1951, chap. 45.
[5] Maintenant appelé le Barreau de l’Ontario.
[6] Law Society Amendment Act, 1951, chap. 1.
[7] Ministère du Procureur général, Rapport de l’examen du régime d’aide juridique de l’Ontario : Un plan d’action pour des services d’aide juridique en Ontario, vol. 1, 1997 (rapport McCamus), p. 10.
[8] Ontario, Report of the Joint Committee of Legal Aid, mars 1965, p. 5.
[9] Ibid., pp. 97-99.
[10] Legal Aid Act, 1966, L.O. 1966, chap. 80. La Loi a pris effet le 27 mars 1967.
[11] Ibid., art. 2 et al. 5(1)a).
[12] Ibid., art. 12, 13 et 17.
[13] Ibid., al. 20(b).
[14] John D. Honsberger, « The Ontario Legal Aid Plan », McGill Law Journal, vol. 15, no 3, 1969, p. 440.
[15] Lenny Abramowicz, « The Critical Characteristics of Community Legal Aid Clinics in Ontario », Journal of Law and Social Policy, vol 19, 2004, p. 78.
[16] Michael Cormier, « A Response to ‘The Critical Characteristics of Community Legal Aid Clinics in Ontario’ », Journal of Law and Social Policy, vol. 19, 2004, p. 86.
[17] Rapport McCamus, vol. 1, p. 14.
[18] Ibid.
[19] Ibid., p. 15.
[20] Ibid.
[21] Ibid., pp. 24-26.
[22] Ibid., p. 19.
[23] Ibid., pp. 17, 28-29. Les contributions fédérales se font alors largement dans le cadre d’une entente de partage des coûts, qui prévoit que le gouvernement fédéral assume une partie des dépenses lorsque les clients répondent aux critères d’évaluation des besoins.
[24] Michael Trebilcock, Rapport 2008 sur l’examen du régime d’aide juridique, ministère du Procureur général, 2008 (rapport Trebilcock), p. 6.
[25] Ibid., p. 6.
[26] Rapport McCamus, vol. 1, pp. 21-22.
[27] Ibid., pp. 3-6.
[28] Ibid., pp. 43-47.
[29] Ibid., p. 137.
[30] Ibid., pp. 137 et 160.
[31] Loi de 1998 sur les services d’aide juridique, L.O. 1998, chap. 26, art. 5, 7-8.
[32] Ibid. art. 1.
[33] Ibid., par. 14(2) et (3). La Loi définit les domaines de pratique des cliniques comme « [l]es domaines du droit qui concernent surtout les particuliers à faible revenu ou les collectivités défavorisées » se rapportant notamment au logement, au maintien du revenu, à l’aide sociale, aux droits de la personne, à la santé, à l’emploi et à l’éducation.
[34] Ibid., par. 14(1).
[35] Aide juridique Ontario, Feuille de route pour les avocats du secteur privé qui font du travail d’aide juridique, p. 6.
[36] AJO, Droit criminel.
[37] Les Autochtones et les personnes ayant des problèmes de santé mentale peuvent être admis au cas par cas, même en l’absence de risque d’incarcération.
[38] Loi de 2020 sur les services d’aide juridique, art. 7; Règles des services d’aide juridique, art. 12.
[39] Ibid., art. 12 et 13.
[40] AJO, « Changements temporaires aux services en raison de la crise de COVID-19 », mise à jour du 12 octobre 2021.
[41] Vérificatrice générale de l’Ontario, Rapport annuel 2018, vol. 1, ch. 3.05, « Aide juridique Ontario », p. 304 à 305.
[42] AJO, Fiche de renseignements : Services des avocats de service.
[43] AJO, Rapport annuel 2019-2020, p. 26; AJO, Fiche de renseignements : Services des avocats de service.
[44] AJO, Fiche de renseignements : Services des avocats de service.
[45] AJO, Rapport annuel 2019-2020, p. 26 et 41.
[46] Ibid., p. 30.
[47] Règles des services d’aide juridique, art. 12.
[48] Vérificatrice générale de l’Ontario, Rapport annuel 2018, p. 341-342. Si le test d’admissibilité n’est pas strictement appliqué, c’est en partie parce que les choses vont vite dans les tribunaux et que, souvent, les avocates et avocats de service assistent des personnes en cour à la demande de juges qui cherchent à assurer le bon déroulement de l’instance.
[49] Ibid., p. 343 (« Réponse d’Aide juridique Ontario »). Voir aussi AJO, « Guide des services des avocats de service de 2019 ».
[50] AJO, « Cliniques juridiques ».
[51] Loi de 2020 sur les services d’aide juridique, par. 5 (1); AJO, Rapport annuel 2019-2020, p. 43; Règles des services d’aide juridique, partie 4 (« Entités fournisseurs de services »).
[52] Règles des services d’aide juridique, art. 12 et 15; AJO, Legal Aid Services Act 2020 Policies: Financial eligibility testing for entity services provided by community legal clinics and student legal services organizations, octobre 2021.
[53] AJO, « Explications sur l’élargissement de l’admissibilité financière d’Aide juridique Ontario en 2020 », 27 mars 2020.
[54] Vérificatrice générale de l’Ontario, Rapport annuel 2018, p. 305.
[55] Ibid., p. 331.
[56] Ibid., p. 331. Les données excluent les sociétés étudiantes de services d’aide juridique.
[57] AJO, Fiche de renseignements : Comment Aide juridique Ontario est-elle financée?
[58] Loi de 2020 sur les services d’aide juridique, art. 28 et 29.
[59] Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, chap. L.8, par. 55 (1) à (3)
[60] AJO, Fiche de renseignements : Comment Aide juridique Ontario est-elle financée?
[61] Loi de 1998 sur les services d’aide juridique, art. 40; AJO, Rapport annuel 2018-2019, p. 27.
[62] La Loi faisait partie du projet de loi 161, Loi de 2020 pour un système judiciaire plus efficace et plus solide, L.O. 2020, chap. 11.
[63] Ibid.
[64] Loi de 2020 sur les services d’aide juridique, L.O. 2020, chap. 11, annexe 15, art. 5.
[65] Ibid., al. 3(b). Le Barreau de l’Ontario permet la prestation de « services juridiques dégroupés » – aussi appelés « services de représentation à portée limitée » ou « mandat à portée limitée » – depuis 2011.
[66] Emmett Bisbee, « Legal aid changes could mean more self-represented litigants », The Lawyer’s Daily, 2 septembre 2020; Jacques Gallant, « Province pulls back plan to cut more from legal aid », Toronto Star, 10 décembre 2019.
[67] Assemblée législative, Journal des débats, 24 juin 2020.
[68] Bernise Carolino, « Legal Aid Ontario to launch modernized framework under new Legal Aid Services Act », Law Times, 29 juillet 2020.
[69] Bureau de la vérificatrice générale de l’Ontario, Rapport annuel 2011, p. 235-236.
[70] AJO, Explications sur l’élargissement de l’admissibilité financière d’Aide juridique Ontario en 2020, 27 mars 2020. Le seuil d’admissibilité est légèrement plus élevé pour les affaires de violence familiale.
[71] Statistique Canada, Tableau 11-10-0241-01, Seuils de faible revenu (SFR) avant et après impôt selon la taille de la communauté et la taille de la famille, en dollars courants. Le SFR constitue le seuil de revenu en deçà duquel une famille est susceptible de consacrer une part plus importante de ses revenus à la nourriture, à l’hébergement et aux vêtements qu’une famille moyenne.
[72] Voir, globalement : Middle Income Access to Justice, édité par Michael Trebilcok, Anthony Duggan et Lorne Sossin; Annemarie E. Bonkalo, Examen des services de droit de la famille, 31 décembre 2016 (rapport Bonkalo).
[73] En 2014-2015, plus de 57 % des parties en litige n’étaient pas représentées devant les tribunaux de la famille. Dans certains palais de justice, on estime que la proportion des parties qui se représentent elles-mêmes dépasse les 70 %. Voir le rapport Bonkalo, deuxième partie, point a.; Julie Macfarlane, The National Self-Represented Litigants Project, 2013, p. 31.
[74] Rachel Birnbaum, Nicholas Bala et Lorne Bertrand, « The Rise of Self-Representation in Canada’s Family Courts: The Complex Picture Revealed in Surveys of Judges, Lawyers and Litigants », Canadian Bar Review, vol. 91, no 1, 2013, p. 76; Julie Macfarlane, The National Self-Represented Litigants Project, p. 39.
[75] Dans un sondage récent mené auprès des avocates et avocats en droit de la famille de l’Ontario, 91 % des répondantes et répondants rapportent que le fait que l’autre partie soit non représentée dans une instance augmente les coûts pour la partie représentée. De même, les juges interrogés rapportent que l’autoreprésentation rallonge considérablement le temps nécessaire pour régler ou gérer une affaire. Voir Birnbaum, Bala et Bertrand, « The Rise of Self-Representation in Canada’s Family Courts », pp. 80 et 87.
[76] Vérificatrice générale de l’Ontario, Rapport annuel 2018, pp. 301-302. Le budget de fonctionnement total d’AJO en 2015-2016 était d’environ 440 millions de dollars.
[77] Ibid., Rapport annuel 2018, pp. 314-318. Voir Deloitte LLP, Examen d’Aide juridique Ontario, effectué pour le ministère du Procureur général, Toronto, 2017.
[78] Jacques Gallant, « Legal aid welcomes audit: CEO says financial woes were caused by increased demand, not internal mismanagement », Toronto Star, 21 décembre 2016.
[79] Vérificatrice générale de l’Ontario, Rapport annuel 2018, p. 317.
[80] Allison Jones, « Ontario cancels planned future cuts to legal aid; this year’s cut remain », Canadian Press, 9 décembre 2019; procureur général de l’Ontario, « Bâtir un système de justice plus solide pour des collectivités plus sûres », communiqué, 9 décembre 2019.
[81] Jacques Gallant, « Legal Aid slashing staff in face of cuts », Toronto Star, 30 avril 2019. Les postes ont été éliminés principalement par le biais de la suppression de postes vacants, de départs volontaires et de l’attrition.
[82] Ibid.
[83] AJO, « Mise à jour : AJO apporte des modifications aux politiques sur les services couverts par les certificats », 12 juin 2019.
[84] AJO, Rapport annuel 2019-2020, p. 41.
[85] Vérificatrice générale de l’Ontario, Rapport annuel 2018, p. 317.